Une Montagne, Mille Mystères

Cette page est dédiée au travail de M. Kees Vanderheyden
Il enrichira le site de ses contes et nouvelles concernant le Mont St-Hilaire

Bonhomme

        L’épicerie de Bernard Vertefeuille était la fierté de la ville. On y trouvait de délicieux rôtis de porc, des poulets dodus, des légumes frais et tous les pains imaginables. Les départements des viandes, de légumes et la poissonnerie étaient bien garnis. Les murs du magasin étaient décorés de scènes champêtres avec des vaches, des agriculteurs souriants et des tournesols radieux. Mais pas seulement la marchandise était de qualité, le personnel était d’une courtoisie et d’une efficacité sans pareil.

        Bernard Vertefeuille traitait son personnel avec générosité. Il avait le coeur au bon endroit et avait décidé de donner une chance aux gens moins doués. C’est ainsi que Bernard avait engagé un garçon de 19 ans, faible d’esprit, “un handicapé mental” comme on dit. Il avait les yeux rieurs mais légèrement écartés, le nez plat et les cheveux en broussaille. Tout le monde l’appelait Bonhomme, tant son tempérament était pacifique, son dévouement sans faille et son sourire toujours ensoleillé.  Il était la bonté même. Le patron Bernard avait confié à Bonhomme une tache simple mais exigeante : laver les planchers de l’épicerie, la nuit, et ramasser tout ce qui traîne. Quand on ouvrait l’épicerie de Vertefeuille le matin, le plancher était luisant comme un sous neuf, tous les départements brillants de propreté et Bonhomme fatigué, mais fier comme un coq.

        Une nuit, c’était le dernier vendredi d’octobre et la veille de la Halloween, Bonhomme vadrouillait le vaste plancher du département des viandes, quand un petit accident survint qui ouvrirait un nouveau chapitre dans sa vie et celle de l’épicerie. Bonhomme glissa sur le plancher qu’il venait de laver. Il trébucha et frappa sa tête sur le dur terrazzo. Le choc fut douloureux. Sonné, Bonhomme se vit brièvement plongé dans une traînée d’étoiles clignotantes. Il ne perdit pas conscience, bien au contraire, une fois les étoiles éteintes, une chose merveilleuse se produisit. Était-ce un cadeau de cette nuit de mystère ? Bonhomme contempla avec étonnement un spectacle hallucinant. 

        Un cortège solennel de cochons, gros verrats et menus porcelets, se dirigeait lentement vers l’étal de rôtis et filets de porcs. Les bêtes trottaient sombrement, têtes baissées. Ils s’arrêtèrent devant l’étal et tout en grognant tristement, ils semblaient vouloir toucher de leurs groins les paquets de viandes. Quel spectacle étrange !

        Bonhomme s’aperçut aussi que le grand tableau peint sur le mur du département avait pris vie. Les agriculteurs d’habitude si souriants avaient lâché leurs fourches et regardaient gravement l’étrange cérémonie qui se déroulait sur le plancher de l’épicerie. Personne ne semblait se soucier de Bonhomme, qui n’osait bouger.

        À la fin du spectacle qui durait à peine une petite heure, le jeune homme se tourna vers un des agriculteurs là-haut.

- S’cusez monsieur. Que s’est-il passé donc ?
- C’est vendredi, alors les cochons viennent pleurer les porcs qui sont morts à la boucherie.
- Pourquoi, pleurent-ils, monsieur ?
- Parce qu’ils sont morts sans que personne ne se préoccupe d’eux. Ils étaient résignés à mourir, mais auraient aimé qu’on leur porte un peu d’attention.
- Pourquoi ça monsieur ?
- Ils sont tristes d’être traités comme des jambons sur pattes et non comme des bêtes qui apportent un moment de plaisir aux hommes.
- Est-ce qu’ils viennent comme ça toutes les nuits, monsieur ?
- Non, lundi ce sont les vaches qui viennent, mardi les poulets et les dindes et mercredi les cochons. C’est toujours la même cérémonie triste. C’est leur visite au cimetière, on dirait.
- Qu’est-ce qu’on peut faire pour ces animaux tristes, monsieur ?
- Je ne sais pas. C’est bien déprimant les nuits ici. Si les clients savaient.

         Bonhomme était désormais témoin de ces scènes nocturnes. Il contemplait toutes les nuits les cortèges fantomatiques de cochons, de vaches et de poulets qui défilaient sombrement dans l’épicerie. Son grand coeur simple et chaleureux  battait comme un tambour. Bonhomme avait de la peine pour toutes ces bêtes qui apportaient de la nourriture à tout le monde mais qui n’étaient pas considérées pour autant. Il voulait bien faire quelque chose. Mais quoi ?

        Lentement, dans son cerveau une petite lumière s’alluma : dans le secret de la nuit, il allait désormais consoler ses amis les animaux. Ainsi, avant de commencer le lavage des planchers, Bonhomme mit sur les étals de petites feuilles sur lesquelles il avait dessiné des coeurs, des fleurs et des soleils. Puis, quand les bêtes, leurs visites terminées, quittaient l’épicerie de monsieur Vertefeuille, il envoyait des baisers à tous ces êtres d’un autre monde. 

        Grâce à la gentillesse de Bonhomme, les cérémonies  devinrent, petit à petit, plus légères, presque joyeuses. À leurs soirs désignés, avant de rendre hommage aux étals, les cochons, les veaux, les vaches, les poulets et les dindes firent une ronde autour de Bonhomme, qui leur fit son beau sourire et des baisers d’amitiés. L’air de l’épicerie ne respirait plus le deuil, mais la sérénité. Même les agriculteurs là-haut au mur se mirent à envoyer la main aux bêtes.

Avec les changements de saisons, Bonhomme apporta des petites fantaisies : une petite musique joyeuse, des bougies de fête, des danses avec sa vadrouille. Il était fier de son travail, mais ne soufflait mot de ces nuits merveilleuses. Son cerveau était peut-être un peu plus lent que celui des autres, mais son coeur était grand et chaud.

        Puis, imperceptiblement, une espèce de bonheur se mit à se répandre dans l’épicerie. Les clients trouvaient que les viandes de Vertefeuille étaient plus savoureuses qu’ailleurs, qu’elles étaient plus nourrissantes. Le patron appréciait, mais ne comprenait pas ce nouvel enchantement de ses clients. Seul Bonhomme avait son idée, mais il ne parlait pas. Il avait toujours hâte d’entamer une autre nuit dans son royaume où les humains et les animaux étaient complices.

        Hélas, une visite fortuite du patron chambarda ces nuits merveilleuses. Un soir, Bonhomme venait de mettre ses dessins sur les étals  et pour ajouter à la magie de l’amitié, il avait allumé trois bougies devant un beau portrait d’un coq qu’il avait soigneusement dessiné. Il ignorait que son patron, Bernard Vertefeuille, s’affairait à la porte de l’épicerie car il venait chercher le carnet de commandes de la semaine qu’il avait oublié d’apporter à la maison.

        Bernard admirait les planchers brillants et sentait l’air frais. Soudainement il aperçut une odeur de cire à chandelles. Où était Bonhomme. Il fit le tour des départements et surprit son employé assis à terre devant le portrait d’un coq, illuminé par trois chandelles.

- Bonhomme, qu’est-ce que tu fais là ?

        Pauvre Bonhomme, il était tellement surpris qu’il en bégayait en  tentant de raconter ses nuits merveilleuses dans l’épicerie avec les cortèges d’animaux. Il expliquait comment il rendait hommage aux bêtes qui étaient morts pour les humains qui pourtant se foutaient d’eux. Il venait les consoler à toutes les nuits.

        Monsieur Vertefeuille était atterré. Bonhomme était plus dérangé qu’il pensait. La nuit lui donnait des hallucinations. Au lieu d’aider ce brave garçon en lui confiant le ménage nocturne, il l’avait plongé dans un cauchemar.  Il fallait lui trouver un autre travail moins obscur. Il s’excusa auprès de Bonhomme, qui protestait vainement.

- Je suis très heureux ici, Monsieur Vertefeuille, croyez- moi. Ces petites fêtes ne m’empêchent pas de faire un bon ménage, je vous le jure.

        Monsieur Vertefeuille le rassura de son mieux. Mais, dès le lendemain, il trouva pour Bonhomme un travail de jour dans une manufacture de jouets. Bonhomme déçu, gardait son grand sourire et mettait désormais toute son énergie à emballer des jouets. Les employés de l’épicerie étaient tristes de perdre leur copain au grand coeur, mais ils partageaient l'avis du patron. Il fallait protéger ce pauvre simple d’esprit.

        Le départ de Bonhomme ramena l’atmosphère de tristesse aux nuits de l’épicerie. Les dessins et les surprises d’amitié n’attendaient plus les visiteurs nocturnes. Les animaux se sentaient de nouveau abandonnés, sans importance, vite oubliés. Où était leur ami Bonhomme ? Les agriculteurs au mur là-haut regrettaient aussi le bon temps avec le jeune homme au coeur d’or. 

        Après quelques semaines, les clients commençaient à se plaindre que les viandes avaient perdu ce petit quelque chose qui les rendait différentes de ce qu’on pouvait acheter ailleurs.

- Patron, qu’est-ce qui est arrivé à vos viandes. Elles ont moins de goût qu’avant ?

        Monsieur Vertefeuille ne comprenait pas le changement d’humeur de ses clients, jusqu’au jour où un soupçon surgit dans son esprit. Y avait-il un lien entre ce désenchantement et le départ de Bonhomme. Si Bonhomme avait dit vrai avec ses histoires de considération pour les animaux qu’on mange sans se soucier d’eux. Il décida d’aller voir son ancien employé, qui l’accueillit comme toujours avec le grand sourire.

- Bonjour, Monsieur Vertefeuille. Comment va l’épicerie ?
- Mon cher Bonhomme, elle va moins bien depuis que tu es parti. Accepterais-tu de revenir faire le ménage la nuit chez nous ?
- Oui, Oui, Monsieur.
- Mais ne parle pas de tes aventures la nuit dans mon épicerie. C’est un secret entre nous deux. Monsieur Vertefeuille ne voulait quand même pas passer pour un illuminé.
- D’accord monsieur. C’est un secret entre nous.

           Bonhomme accepta avec enthousiasme de reprendre la vadrouille et.... les rencontres amicales de la nuit. Toute l’équipe de l’épicerie Vertefeuille fit une fête à leur cher Bonhomme, qui fit une petite danse de bonheur.

           Le joie nocturne fut grande. Les cochons, les poulets et tous les autres animaux retrouvèrent leur air serein et le petit bonheur de l’amitié avec cet homme au grand coeur. 

           Après quelque temps, les clients retrouvèrent leurs délicieuses viandes que seul Vertefeuille savait offrir. Monsieur Vertefeuille finit par confier le grand secret aux employés, sous le sceau de la confidence. C’était Bonhomme, qu’on croyait pourtant moins doué que les autres, qui avait découvert que le respect des hommes pour les animaux finissait pas produire des effets bénéfiques insoupçonnés.

           Si seulement ce précieux secret, né la nuit de la Halloween, faisait le tour de la Belle Province.

Kees Vanderheyden
Mont-Saint-Hilaire
Septembre 2007

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Le Monarque, ce grand voyageur


Dès le mois de septembre s’amorce le voyage le plus incroyable du monde animal : la migration du papillon Le Monarque. Le raccourcissement des journées de la fin de l’été sonne la départ pour ces papillons magnifiques à qui ont a donné le titre royal de « monarque ».

En Plein Vol (encaustique) par France Clermont

En route, ces papillons se rassemblent de partout pour former d’épais nuages de dizaines de milliers d’ailés légers. Ils sont en route pour un voyage incroyable d’un mois d’une distance de 4 500 kilomètres qui les mène au le Mexique à la Sierra Madre. Ils voyagent de jour tout en grignotant ici et là. La nuit, ils dorment dans les mêmes arbres que leurs ancêtres. Les arbres-dortoirs sont tellement occupés que les branches ploient sous le poids de milliers de dormeurs.

Fait étonnant, les monarques ne cherchent pas le chaud soleil du sud mais un lieu traditionnel d’hibernation dans les montagnes où il règne une température frigide près de zéro. Ils dorment pendant 6 mois pour se réveiller au printemps prêts pour l’accouplement et le retour vers le nord.

Les femelles pondent leurs œufs en route sur leurs plantes préférées : les Asclépiades aux feuilles toxiques. Les pauvres mâles, en vols séparés, sont épuisés et meurent presque tous en voyage. Tout le long du parcours, les œufs éclosent et les chenilles, décorées de bandes jaune-noir-blanc, dévorent les feuilles empoisonnées de l’Asclépiade. Le poison ne le tue pas, au contraire, il les rend immangeables et les protège ainsi ontre les prédateurs qui n’osent pas manger ces chenilles vénéneuses au goût affreux. Rendus papillons, ils n’auront rien à craindre.

Ces migrations spectaculaires et ésoufflantes décorent le ciel d’automne depuis des milliers d’années et elles émerveilleront nos enfants, nos petits-enfants  et même nos lointains descendants. Bravo pour cette merveille de la nature.